Anticipation : les femmes sont-elles des hommes comme les autres ?

 


@MyEdit


Lorsqu’il est question d’anticipation, dans le monde de l’édition, les médias, ou dans le cadre d’un enseignement universitaire, ce genre est toujours présenté comme une littérature en marge, à la fois novatrice et ouverte sur tous les futurs possibles.
En réalité, c’est réduire l’anticipation à peu de chose.  

 

Un monde futuriste binaire

"Le survivant" de Boris Sagal (1971)
 

A fortiori, ceux qui s’intéressent à notre futur plus ou moins proche sont ceux que cet avenir interroge et bouleverse, au point qu’ils éprouvent l’envie ou la nécessité de projeter leur propre vision des choses. À l’image d’Aldous Huxley, George Orwell et Philip K. Dick, ils sont donc paradoxalement, plutôt angoissés, dépressifs, marqués par le deuil et la maladie, une adolescence difficile, la guerre, les conflits politiques de leur époque ou des déceptions sentimentales. Parfois addicts à la consommation de drogues ou dépendants d’un traitement médical lourd, ils sont enfermés dans une représentation d’un monde futuriste où la dualité règne : le bien et le mal, la richesse et la pauvreté, le savoir et la bêtise, la science et la nature, l’homme et l’animal, le fort et le faible, l’étranger et l’alien (généralement hostile). Des opposés qui s’affrontent avec violence selon des modèles archaïques binaires.



La fête à ces messieurs

La SF n’a pas tant d’imagination qu’elle veut bien nous laisser croire et reproduit souvent des schémas hérités d’auteurs précurseurs en la matière (Jules Verne, Edgar Alan Poe, Maurice Renard, H.G. Wells) dont les récits sont dominés par une vision patriarcale. Les hommes sont des scientifiques, les femmes des obsédées de leurs toilettes, sujettes à l’évanouissement et ravissantes au point de troubler l’esprit. Les uns explorent, les autres suivent comme elles le peuvent.  



"La machine à remonter le temps" de George Pal, 1960
d'après le roman de H.G.Wells


Depuis ces trente dernières années, on constate que les personnages féminins évoluent à la faveur des époques et d’une féminisation du genre, et qu’elles conquièrent à leur tour, se battent « comme des hommes » (Hunger Games de Suzanne Collins), adoptent leurs tenues, leur mode de pensée, bref, se masculinisent, histoire de coller à un modèle universel et parfait, celui du mâle. Pas le choix, sinon, elles sont victimisées, réduites à leur fonction d’objet (du mobilier dans le roman Soleil vert de Harry Harrison), d’esclave sexuelle (tant qu’à faire) ou de matrice.

 


"Soleil Vert" de Richard Fleischer (1973)

Aujourd’hui, la SF a tendance à recombiner des dramaturgies éculées, tournant autour d’une quête pacificatrice ou libératrice vaguement écolo, peinant à s’ouvrir à la créativité en lien avec nos véritables préoccupations - en particulier celles de la « ménagère de plus de cinquante ans ». Elle en est pourtant l’enjeu principal, le levier et le sujet le plus porteur.

 Stimuler, bousculer, alerter, dénoncer

Lorsqu’on choisi un livre, la bonne question est de savoir si cette histoire va nous apprendre quelque chose, nous aider d’une manière ou d’une autre, remplir une fonction de stimuli cérébral. Ce bouquin que j’ai entre les mains va-t-il m’ouvrir aux autre et au monde ? Va-t-il me permettre de mieux comprendre la complexité de ce qui m’environne ? Ou me brosse-t-il plutôt dans le sens du poil, m’enfermant dans un cocon qui m’évite de trop réfléchir et surtout de prendre le risque de changer quelque chose dans ma vie ?



"Blade Runner" de Ridley Scott (1982)

Personnellement, c’est dans l’anticipation que je vais volontiers me confronter aux hypothèses qui font réfléchir, me bousculent, m’alertent, et dénoncent. Mais j’y trouve souvent une forme de pensée qui cantonne la femme à une posture. Faible ou dominatrice, puissante ou sacrifiée, jeune ou déjà vieille, mère ou amoureuse. 

Elles sont parfois si insignifiantes ou caricaturales qu’elles disparaissent des adaptations audiovisuelles comme ce sera le cas pour la femme de Rick Deckard dans Blade runner, inspiré du roman de Philip K. Dick Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?

 

Les femmes sont-elles des hommes comme les autres ? 

Dans La servante écarlate, Margaret Artwood imagine un monde dystopique totalitaire et religieux, où les femmes sont instrumentalisées, divisées, dévalorisées jusqu’à l’asservissement. On leur retire jusqu’à leur nom. Les plus âgées d’entre elles et les infertiles sont déportées dans les colonies où elles manipulent des déchets toxiques. Dans ce futur où le taux de natalité est très bas à cause de la pollution des sols et de l'atmosphère, où a contrario les accouchements ne sont pas médicalement assistés (pour en rajouter une couche sur le calvaire subi par les femmes), l’homme est le mal absolu, le dominant bienheureux qui règne avec violence et cruauté. Les femmes de pouvoir sont elles aussi inféodées, reproduisant discours et sévices, nourries par l’ambivalence de leur statut. Une vision qui dénonce la réalité d’une société sectaire et dans laquelle nous vivons déjà, hélas, selon les pays où l'on habite. C'est un monde qui n'offre pas d’autres perspectives que celle de la rébellion ni d'autres choix que de recourir aux mêmes armes (torture, violence) comme tente à le démontrer la série télévisée librement adaptée du roman.



"The handmaid's Tale : la servante écarlate" série TV


Cette dystopie que l’on qualifie de féministe montre une fois de plus la femme dans une position d’infériorité. Réduite à deux fonctions - donner du plaisir, enfanter - avant destruction. 
Imaginez un roman dans lequel on inverse les rôles, où l’homme serait réduit à donner du plaisir et à faire don de son sperme (tant qu’il en est encore capable) et où la femme dominerait le monde et les corps masculins. Est-ce que cela ne serait pas plus intéressant, pour une fois ?
Il y a une vrai question à se poser sur la reproduction de vieux schémas narratifs et comportementaux.


 

@MyEdit


Dans la famille SF, je demande les pères

Laissons de côté la « fantasy » qui n’intègre pas a priori le genre dystopique pour aborder la SF. On parle parfois de « famille de la SF ». Une famille plutôt dysfonctionnelle, à mon goût, où les pères fondateurs font l’objet de cultes exagérés, et dont les œuvres ne sont jamais remises en perspectives. La référence constante à Isaac Asimov, Aldous Huxley, René Barjavel ou Frank Herbert, par exemple, est révélatrice. Sans nier leurs apports ou la qualité de leurs œuvres, elle doit laisser le champ libre à d’autres imaginaires.





L’œuvre de René Barjavel qui est de loin la plus prémonitoire, met en garde le monde contre la chute de la civilisation causée par les excès de la technologie et la folie de la guerre, et accorde une grande importance au caractère éternel et indestructible de l'amour. C’est une vision indéniablement réaliste et qui mériterait d’être revisitée autrement que par le prisme d’une vision patriarcale et mystique qui est celle de l’auteur.
 
La science-fiction doit s'interroger sur ce qui lui sert de base pour construire cet ailleurs et ce futur qu'elle décrit. En finir avec une normalité qui n’a pas de raison d’être, et qui ferme toute exploration à d’autres représentations qui ne seraient pas basées sur l’héritage de nos sociétés patriarcales passées.
En finir avec le monde d’en haut et le monde d’en bas.
Revenir à l’origine de l’Homme, à la façon dont il s’est construit au fil des siècles.
 

Métropolis city ("Métropolis", film de Fritz Lang, 1927)

United mixted inclusives colors  

Les efforts de la culture dominante vers plus d’inclusivité et une meilleur représentation de la diversité relèvent trop souvent d’un démarche visant à se donner bonne conscience. Combien de publicité présentant des couples mixtes, jeunes, riches, évoluant dans un décor écolo-aseptisé, entre nature sauvage et modernité d’une grande ville toute propre ? Cela ne correspond en rien à la réalité, mais donne au spectateur son shoot de dopamine, et provoque la sensation de plaisir.



(c) Lego - collection LGBT


Si l’on pense aux dernières productions Disney (et à d’autres industries du divertissement), c’est du génie commercial. Mais ces visions ne tiennent pas compte de l’état de notre société. La mixité avance bien moins vite que la publicité et l’industrie du cinéma. En dehors de quelques quartiers de grandes villes dans le monde, les couples mixtes lesbiens ou homos, dont l’un est en surpoids, l’autre handicapé (malentendant ou HPI), ne courent pas les rues. L’inclusivité passe d’abord par l’éducation et la réorganisation d’une société laïque. 
 
Plus que jamais, l’anticipation doit tenir compte de l’avenir en fonction non pas de normes passées lourdes de préjugées mais de projections scientifiques, sociétales et sociologiques actuelles qui détiennent la clé de notre avenir et (un peu aussi) celui de notre planète. 
 
Voilà où se situe la genèse d’OBSOLETE. Sur quel terreau ont poussé son décor, son histoire et ses personnages.
Et croyez-moi, c’était pas du gâteau.



Capitaine Picard @Star Trek : Next Generation



Commentaires