Peut-on "assurer" notre avenir ?

 

"Le rôle des assurances ne doit pas seulement concerner l’adaptation. En matière de réduction des émissions, les assureurs ont aussi un rôle clé à jouer."

Tous les samedis sur France Info, dans la chronique ZERO EMISSION, François GEMENNE, professeur à HEC, président du Conseil scientifique de la Fondation pour la nature et l'homme et membre du GIEC, aborde l'actualité liée au réchauffement climatique et à ses enjeux.
Comment arrêter l'infernale spirale de l'énergie fossile dans laquelle nous nous sommes engouffrés ? Cette chronique a retenu mon attention et retiendra la vôtre: elle répond à cette question que nous nous posons tous.
S’il y a bien une catégorie d’entreprises qui doivent anticiper les risques, ce sont les assurances. Elles ont donc un rôle primordial à jouer dans nos politiques d’adaptation. Et c’est encore plus le cas dans les pays du Sud, où on estime que seulement 3% des biens sont assurés. 

Coût du dédommagement des sinistres liés aux catastrophes climatiques en France en 2023 : 6,5 milliards d'euros. 
C'est la troisième année la plus coûteuse pour les compagnies d'assurance. Et c'est une augmentation constante depuis les années 2000.

"Le changement climatique coûte de plus en plus cher et cela se ressent aussi dans le coût des polices d’assurance (...). Et malheureusement, c’est une facture qui ne va pas cesser d’augmenter", explique François GEMENNE.

Un monde plus chaud de quatre degrés est-il assurable?

Des assureurs se retirent de régions particulièrement touchées par le réchauffement climatique et refusent d’assurer certains risques. Aux États-Unis, StateFarm, le premier assureur californien (un assureur mutualiste!), refuse désormais d’assurer de nouvelles habitations. Une décision qu'il justifie par  l’inflation des coûts de construction, mais aussi l’exposition croissante aux risques climatiques, et notamment aux feux de forêts. 

"Non seulement StateFarm refuse de prendre de nouveaux clients, mais il va aussi mettre un terme à 72 000 contrats cet été, qui ne seront pas renouvelés pour les mêmes raisons."

D’autres compagnies, comme AllState ou Hippo Insurance, appliquent la même politique. Idem en Floride, où la compagnie Farmers Insurance refuse désormais certains contrats, en raison du risque d’ouragan dont le changement climatique augmente la fréquence et l’intensité. Des gens ne seront plus assurés.  Et c'est ce qui se profile en France, même si notre modèle est moins libéral. L’État intervient bien davantage pour garantir la solidarité, notamment via le régime d’indemnisation des catastrophes naturelles. 

@Gemenne

François GEMENNE : "En Outre-mer, le défaut d’assurance habitation concerne déjà plus de 30% des propriétaires dans, alors qu’il est marginal en métropole. Il y a une vraie question de solidarité qui se pose ici, notamment pour les habitations qui sont très exposées, par exemple celles qui sont situées sur certaines parties du littoral. D’ici 2100, on pourrait devoir relocaliser jusqu’à 50 000 logements. Pourra-t-on encore, demain, assurer les habitations dans les zones à risques ? Est-ce qu’il faut moduler davantage les primes pour décourager l’habitat dans les zones à risques ? Pour l’instant, le modèle français est très solidaire et permet donc de maintenir des tarifs relativement bas dans les zones à risques. Mais ça a aussi tendance à déresponsabiliser les assurés."

Si nous n'intégrons pas les compagnies d’assurances aux politiques de stratégies d’adaptation, les factures grimperont, et la solidarité se fissurera. 
Cette situation n'est pas inéluctable. Il existe des solutions, comme toujours.
Au niveau mondial, il faut savoir que le nombre de personnes qui habitent dans des zones à risques ne cesse d’augmenter. Les polices d’assurance pourraient accompagner davantage la réorganisation de l’aménagement du territoire, notamment pour favoriser l’habitat dans des zones plus sûres. Dans les zones rurales, les assurances agricoles pourraient faire évoluer les modèles d’agriculture, faire le choix d'assurer des cultures qui ne génèrent pas de risques pour l'environnement et la population. 

François GEMENNE : " Pendant longtemps, on a raconté que les meilleurs modèles climatiques n’étaient pas dans les laboratoires des universités, mais chez les assureurs, et surtout chez les ré-assureurs, les assureurs des assureurs."  

Assurer le déluge

Tant que les industries du charbon, du pétrole et du gaz trouveront des assureurs pour leurs nouveaux projets d’extraction d’énergies fossiles dans le monde, ils y verront un encouragement à lancer de nouveaux projets. Et c'est là la problème : des projets d’expansion fossiles qui continuent d’être assurés, tandis que les projets de transition énergétique dans les pays du Sud peinent à être assurés. Pourtant, cette transition énergétique des pays du Sud est essentielle si l'on veut atteindre les objectifs de l'Accord de Paris. 

François GEMENNE : " Mais pour le moment, les investissements dans les pays du Sud sont totalement insuffisants, parce qu’il s’agit d’investissements plus risqués, en raison du contexte politique et économique. Et donc, aucun assureur ne veut prendre le risque de la première perte sur ces investissements. C’est là où il faut développer des partenariats avec les banques de développement, qui pourraient garantir ces investissements, et ouvrir ainsi la voie aux assureurs privés."

Les clés de la transition sont donc détenues par le secteur de l'assurance, avec les banques.

... Qui pour le murmurer à l'oreille de Goldman Sachs ?